...quand le deuxième circuit de France fait semblant de s'inquiéter maintenant pour éviter de devoir s'inquiéter plus tard.
Mais, est-ce bien nécessaire ?
Retour en arrière :
J'annonçais il y a 2 ans : "Pour avoir été Montreuillois pendant plusieurs années, je conserve un
oeil bienveillant sur ce qu'il se passe au sein du cinéma local, le
Méliès. En 2007, agrandi, ce cinéma ambitionnerait de devenir un pôle
de l'art et essai en France.
Avec six salles et 1 200 fauteuils, son
Directeur, Stéphane Goudet, le verrait bien en effet réaliser 300 000 à
330 000 spectateurs par an, soit un objectif ambitieux qui permettrait
au cinéma d'égaler la fréquentation du MK2 Beaubourg à Paris, à
quelques encablures de l'Utopia de .... Toulouse, première salle art
et essai de France avec 350 000 spectateurs annuels."
Aujourd'hui :
Montreuil-sous-bois est, qu'on le veuille ou non, une capitale du cinéma. Nombre de sociétés cinématographiques ou en rapport avec le cinéma s'y trouvent, la ville accueille peu ou prou 80 tournages par an, son cinéma art et essai est l'un des plus actifs de France (2 débats par semaine et 3 festivals co-organisés par an ==> Le Mélies, une équipe capable d'organiser, par exemple, il y a quelques années, un lancer de
ballons en même temps que celui qui avait lieu lors de la projection du film "Parade" de
Jacques Tati !
) et surtout, la ville est le berceau d'un certain cinéma, celui d'un de ses enfants, George Mélies, qui a vécu et tourné ses films dans ses studios, sis à ...Montreuil.
Enfin, le cinéma Mélies de Montreuil réalise actuellement environ 200.000 entrées par an, engoncé qu'il est dans ses 3 salles pour moins de 500 fauteuils dans le Centre Commercial de la Croix de Chavaux, est géré par la municipalité qui lui octroie une aide d'environ 1€ par ticket émis et a mis sur rail un projet génial de déplacement et d'agrandissement.
Le projet :
Le Méliès devrait se retrouver en face de la mairie et du nouveau Centre Dramatique National de Montreuil (ouverture en novembre 2007) dans un ensemble très moderne. Le complexe doit passer à 1.100 fauteuils pour six salles.
Ce déménagement et cet agrandissement, qui doivent s'achever en 2009 au
plus tard, couteront la bagatelle de 11 millions d'euros, à laquelle participeront la municipalité, le Conseil Général et le Conseil Régional.
Décryptage de l'actualité :
Imaginons qu'il n'existe PRINCIPALEMENT plus que 2 sortes d'exploitations de salles de cinéma. D'un coté, celle des grands groupes, des multiplexes de grandes tailles...De l'autre, les cinémas montés en association, le plus souvent aidés par les municipalités.
Et alors ? Si cela permet de maintenir une certaine qualité à l'exposition des films en salle (de TOUS les films), alors tant mieux.
Mais c'est ce que semble redouter un grand groupe comme UGC.
C'est pour ça qu'en écho à l'autorisation délivrée à l'unanimité par la CDEC au Mélies il y a quelques mois, UGC a déposé en juin un recours près le Tribunal Administratif tourné à peu près en ces termes :
"l’utilisation des fond publics pour pratiquer dans ces six salles des tarifs subventionnés […] est constitutive, de la part de la commune, d’un abus de position dominante et d’une violation des règles de la concurrence."
En réponse, l'équipe du Mélies, retranchée derrière ses nombreux spectateurs et l'extrême qualité de son travail, met en place une riposte graduée par le biais d'une pétition dont voici le texte (repris du site libération.fr) :
" Pour mettre en oeuvre une véritable politique de la ville et défendre une culture vivante, à l'opposé des logiques de ghettos sociaux, éducatifs, géographiques ou ethniques, précise le texte de soutien au futur Méliès, il est décisif de développer des lieux à la fois ouverts à tous et exigeants, qui manifestent avec acharnement que l'art est nécessaire pour interroger notre présence au monde et favoriser la cohésion sociale ; des lieux publics où s'éprouve par la vision commune et le débat nourri la communauté des spectateurs, donc des citoyens. Au coeur de ce projet culturel et politique, s'affirme la conviction qu'il est possible et important de défendre un cinéma de proximité de grande qualité dans une zone relativement défavorisée et d'inciter, dans le même geste, la population parisienne à fréquenter cette banlieue dont les médias dominants s'obstinent à ignorer la richesse culturelle.
« Pour ce complexe art et essai, la ville de Montreuil-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis (100000 habitants) entend fermement conserver les trois labels attribués par le CNC qui distinguent aujourd'hui le travail du Méliès en direction du « Jeune Public », tout comme sa valorisation du cinéma de ‘Recherches’, de ‘découverte’, de ‘Répertoire’ et de ‘Patrimoine’. Mais ce passage de 3 à 6 salles permettra également d'amplifier cet effort en corrigeant les principaux défauts de la programmation actuelle. En s'engageant à ne pas projeter plus de films qu'aujourd'hui, mais à les exposer mieux, c'est-à-dire plus souvent et plus longtemps, le Méliès veut lutter à sa manière contre la rotation accélérée des films qui favorise la fréquentation d'impulsion initiée par le marketing et la communication des grands médias, au détriment du bouche-à-oreille et du cinéma le plus exigeant.
« Pour rester dans une logique qui se veut sélective, fondée sur l'appréciation subjective et néanmoins ouverte de films réellement vus, donc pour ne pas se perdre dans l'illusion de servir sans point de vue chaque semaine " toute l'actualité du cinéma ", deux de ces six salles seront consacrées à la fois au cinéma de répertoire (avec une visée pédagogique revendiquée dans la cité de Georges Méliès et des studios Pathé) et à la prolongation de films de qualité au-delà des deux ou trois semaines rituelles qui les voient parfois être chassés simultanément de tous les écrans des grands circuits parisiens.
« Nous, réalisateurs et distributeurs indépendants, avons aujourd'hui besoin de lieux d'exception qui soutiennent ainsi nos œuvres, non pas les yeux des programmateurs rivés sur le seul box office, mais subjectivement, passionnément. Ainsi ne voyons-nous nulle contradiction, bien au contraire, dans le fait que ce projet soit municipal et qu'il puisse être encouragé par l'Etat. Son statut de salle publique garantit des prix de place raisonnables pour la rendre accessible au plus grand nombre et singulièrement aux classes et écoles envers lesquelles un travail systématique d'accompagnement des films est réalisé.
« En ces temps dépourvus d'audace, où la notion d'oeuvre est réduite à celle de produit de consommation, le cinéma d'auteur et les salles art et essai les plus entreprenantes sont engagés dans un même combat pour la qualité, la diversité et le respect de la liberté commune des créateurs et des spectateurs. N'est-ce pas cette exigence, ce refus du renoncement à la passivité, autrement dit à la seule loi du marché, qu'il est urgent de promouvoir dans le cadre d'une réelle politique culturelle ? »
Pour l'heure, une soixantaine de personnalités a signé cette pétition, et c'est peut-être le point de départ de la contestation contre UGC, ce groupe qui déposerait régulièrement des recours contre tout ce qui est apparenté à des subventions municipales en faveur des salles de cinéma. Ainsi, en dehors de toute exhaustivité, rappelons les recours déposés contre le Comoedia de Lyon, contre la mairie d'Epinal ou encore celle de Noisy-le-Grand (également en Seine Saint-Denis).
Conclusion :
Il y a une ironie. Comme pour le Comoedia de Lyon, Le Mélies de
Montreuil est une ancienne salle de cinéma ...UGC. Au delà, s'achemine
pourtant une remise à plat de la loi du plus fort.
Car jusqu'où ira cette logique commerciale des multiplexes contre la politique culturelle des municipalités ? Peut-être seulement jusqu'au prochain Festival de Cannes (mai 2008), ou avant, jusqu'à la prochaine Cérémonie des César (février 2008), ou encore avant, dès le prochain congrès de la Fédération Nationale des Cinémas Français (du 2 au 4 octobre 07 à Deauville, en présence de tous les exploitants de salles), où les débats, non prévus, risquent de faire rage !!!
Pour aller plus loin :
La note de Didier Péron sur le sujet