En préambule à l'article de ce jour, je donnais en début de semaine dernière la liste des 37 projecteurs numériques (34 en 2K répondant aux normes DCI + 3 en 1.3K) installés en France dans des cinémas "commerciaux".
34...sur 5400 écrans (0.6%) comparés aux 1998 écrans américains sur 35000 (presque 6%) au 31 décembre 2006 ! Et l'écart risque encore de se creuser. Si, en France et en Europe en général, on en est encore au stade des discussions sur le modèle de financement à utiliser, Access IT fonce et signe des accords, tant avec les exploitants qu'avec les producteurs/distributeurs (qui sont membres du DCI).
Que se passe-t'il aux USA ?
Access IT (Avec sa filiale Christie AIX, dirigée par Chuk Goldwater, l'ex-boss du DCI), qui a installé 85% des salles mondiales (1695 projecteurs numériques au 31/12/06, déja 2150 au 1/03/07, toutes aux USA) vient de confirmer son ambition de terminer l'année 2007 avec plus de 4000 écrans installés et son objectif de 10000 écrans pour ...2010 (quasiment un tiers du parc américain !).
Il faut dire que les plus grands studios ont validé le principe du VPF (Vitual Print Fees - Frais de Copies Virtuels) comme préalable à l'explosion du marché américain du numérique.
Ce principe, qui consiste à faire payer au Distributeur la différence de coût entre une copie numérique (environ 200 euros) et une copie 35mm (environ 850 euros) pour lever le financement des installations numériques dans les salles concoure à faire exploser le nombre d'installation mais intègre cependant 2 risques majeurs :
- L'accord ne durera qu'un temps et les Distributeurs ne paieront cette taxe qu'un certain temps. De fait, une grande partie des principaux circuits d'exploitants (mais pas tous, voir plus loin) auront signé et seront équipés. Que deviendront les circuits moins importants, lorsqu'ils devront payer pour s'équiper, lorsqu'il n'y aura plus les fonds des Distributeurs ?
- Access IT et les autres sociétés tierces (celles qui récupèrent le VPF et qui installent le matériel dans les cabines) ne risquent-elles pas de devenir "incontournables" et de verrouiller le marché ?
Une autre voie semble cependant se dessiner puisque Regal, AMC et Cinemark (plus de 30% des salles américaines à eux 3, 3 des 4 plus grands circuits américains) viennent de créer une joint-venture : Digital Cinema Implementation Partners (DCIP). Cette société déploiera des équipements de projection numérique dans toutes les salles des trois circuits à partir de 2008, sur le fondement d'une diffusion à très haut débit des contenus, facilitant de fait l'exploitation de contenus alternatifs (concerts, match importants,...).
Où en sommes-nous aujourd'hui en France ?
- Le financement des nouveaux équipements est LE point crucial du cinéma numérique. La France n'est pas les USA. Les VPF ne génèreront jamais autant de revenus ici que de l'autre coté de l'Atlantique. Pour une seule raison : là où un producteur américain sort un film sur 3000 copies, un film en France sort sur environ 100 à 150 salles. Il faut donc trouver une autre source de financement et demander aux exploitants de mettre la main au porte-feuille.
- Les équipements existants sont très inégaux. Si techniquement, le passage au numérique ne devrait pas poser de problèmes aux multiplexes des grands circuits, il n'en sera pas de même pour de nombreux exploitants à cause principalement de (sans tenir compte des coûts d'exploitation, de la petitesse de certaines cabines rendant difficile la double utilisation 35mm/Numérique) la chaine sonore qui doit être très performante à cause de la dynamique du son numérique (une installation son numérique un peu ancienne risque d'être limite).
- Le problème de la gestion des clés n'est toujours pas réglé. Pour l'instant, chaque film numérisé possède une clé "primaire". Chaque serveur lié à un projecteur numérique d'un cinéma possède une clé "publique".
Une clé de "lecture" (clé primaire + clé publique + codage contractuel) doit être générée pour exploiter le film. Mais quelles seront les restrictions liées à la clé de lecture ? Deux limites existent :
- Peu restrictive : une seule clé pour une seule copie pour X salles d'un même multiplexe pour X semaines (on s'acheminerait vers cette liberté laissée à l'exploitant),
- Très restrictive : Une clé pour un film, pour une salle, pour une semaine (mais on n'est pas en ex-URSS)
Globalement, les clés primaires et les clés publiques devraient apparaître dans un registre public émanant de la CST ou d'un organisme indépendant et les clés de lecture pourraient être générée par un tiers de confiance non déterminé pour l'instant.
Enfin, que va t'il se passer en France dans les mois à venir ?
Les Exploitants principaux vont commencer à s'équiper. En particulier le réseau des salles Gaumont et Pathé (Europalaces) qui testent déja 8 configurations différentes rien qu'à Paris - vous pouvez revoir la liste des salles ici pour remarquer que : 5 fabricants de projecteurs (NEC, BARCO, KINOTON, CINEMECCANICCA et CHRISTIE) et 5 fournisseurs de serveurs (DOLBY, DOREMI, XDC, KODAK et QuVis) sont concernés ! Et encore, je ne sais pas ce qu'il en est pour Sony et son système propriétaire 4K, le SXRD.
Les Producteurs et les Distributeurs vont suivre. Toujours dans mon giron, Gaumont post-produit déja presque 1 film sur 2 en numérique et 5 de ses films à sortir dans les salles feront l'objet d'un encodage permettant la diffusion numérique !
Alors évidemment, je ne parle là que de grosses sociétés. Qu'adviendra-t'il des petites salles de cinéma, des petits distributeurs, des petits producteurs ?
Au niveau du financement, du "tirage" et même de l'équipement et de la maintenance, des aides publiques spécifiques devront être mises en place pour aider au maintien de la multiplicité du choix et de la qualité mais pas seulement, on peut imaginer que les "gros" aident les "petits" : Le risque pour la culture européènne (et française en particulier, à l'heure où les parts de marché du cinéma français dans le monde ne se sont jamais aussi bien portées) qu'entrainerait un retard trop important sur les Etats-Unis est bien réèl. Tant pour la pluralité d'expression que pour le nombre de salles.
Alors le tout numérique en france, c'est pour quand ?
Globalement, on peut dire que 2007 est la phase d'amorçage, que 2008 sera l'année de l'explosion (tous les multiplexes auront de 2 à 4 projecteurs numériques) et que plus de 85% des salles et que la totalité des films produits seront "numérisés" en 2012 !