Fred, qui laisse parfois des messages sur mon Blog, se pose des questions sur l'Art et Essai (les films, les salles). QUI, QUOI, QU'EST-CE ? Alors moi, aussitôt, ni une, ni deux, je me dis : "prend ta plus belle plume, ton meilleur style, une bonne recherche bibliographique, remise à jour des connaissances et hop : écrit un truc sur le sujet !"
Voilà ce que ça donne :
Si la loi du 26 octobre 1946 met en place le C.N.C. (Centre national de la cinématographie) en tant qu'établissement public doté d'une autonomie financière qui encadre le cinéma sur le plan législatif et réglementaire sous l'autorité de l'état, il n'existe pas encore à l'époque de classification qualifiant les films.
On assiste cependant en parallèle à une petite révolution culturelle avec la naissance de ce que l'on va appeler la cinéphilie (clubs d'amateurs où l'on projette des films, étudie la technique et l'histoire du cinéma). Dès 1946 des ciné-clubs naissent dans les villes, les établissements scolaires, les entreprises (même si le terme Ciné-Club est apparu dès 1920).
Peu après, la création de magazines tels que La Revue du cinéma, Les cahiers du cinéma (1951) ou Positif (1952), où écrivent des figures importantes du cinéma (Roger Leenhardt, André Bazin, Alexandre Astruc, François Truffaut), atteste de l'émergence de la conception du film comme élément culturel.
Alors que paraît en 1954 dans Les cahiers du cinéma l'article de François Truffaut intitulé Une certaine tendance du cinéma français, où il critique avec véhémence le cinéma dit de qualité française, cette rupture artistique (liberté de ton / insouciance / cynisme) et économique qui correspond aussi à l'évolution des techniques (caméras plus légères, pellicules plus sensibles donnant la possibilité de tournage en extérieur à la lumière du jour) va entrainer quelques mois plus tard la création, par des Directeurs de salles et quelques critiques, de l'AFCAE (l'Association Française des Cinémas d'Art et d'Essai), qui sera officialisée par André Malraux en 1959.
Dans la présentation officielle de l'association, il est dit :
L 'AFCAE ne prétend pas promouvoir une pensée correcte sur le cinéma, ni servir de modèle, même si "l'expérience française" est enviée et vantée par les réalisateurs et auteurs du monde entier. Elle a pour vocation de rassembler dans sa diversité l'ensemble du Mouvement Art et Essai. Elle est un lieu de réflexion, de discussion, et d'action. Son rôle est notamment de créer et d'améliorer des outils incitatifs pour aider chacun de ses adhérents à mieux défendre ce rapport au cinéma, chacun avec ses spécificités et dans les conditions qui sont les siennes.
En réalité, et merci à l'association "L"autre Cinéma" pour la tournure, "faudrait-il entendre que certains films relèvent de l'art en même temps que de l'essai (comme on dit : fromage et dessert) ? Ou qu'ils appartiennent soit à la catégorie de l'art, soit à celle de l'essai (fromage ou dessert : menu moins cher) ? Et de toute manière, l'art - qu'il s'agisse de cuisine ou de cinéma - n'est-il pas par essence un essai réussi ?"
Notons que pour le CNC, ce label est réservé aux films :
- Possédant d’incontestables qualités mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elle méritait ;
- Recherche et Découverte, c’est-à-dire ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique .
- Reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France ;
- De reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment considérée comme des " classiques de l’écran " ;
- De courte durée, tendant à renouveler l’art cinématographique.
Peuvent également être comprises dans les programmes cinématographiques d’art et d’essai :
- Des œuvres récentes ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public et pouvant être considérées comme apportant une contribution notable à l’art cinématographique ;
- Des œuvres cinématographiques d’amateurs présentant un caractère exceptionnel.
Dans les faits, l'appellation Art et essai n'a rien d'élitiste, vu que 50 % environ des films distribués en France en bénéficient.
C'est l'AFCAE qui a reçu pour mission du CNC de gérer le Collège de recommandation des films qui, deux fois par mois, vote sur tous les films sortis (exclusivités et reprises). Ce collège est composé de 100 membres (exploitants, distributeurs, producteurs, réalisateurs, directeurs de festivals, représentants des Pouvoirs Publics, critiques, personnalités du monde des Arts et des Lettres). Depuis 2002, le CNC a chargé également l'AFCAE de la gestion de la recommandation des films dits "Recherche et Découverte". Ce collège de 26 personnes, issu du Collège de recommandation des films Art et Essai, représente toutes les catégories professionnelles.
Ces recommandations sont prises en compte pour les classements annuels des salles et les labels décernés en fonction de leur programmation mais aussi selon d'autres critères : sociologique, géographique, politiques d'animation, travail en faveur du jeune public, du Répertoire…..
Donc, pour en revenir aux moutons gardés par Fred (les films, les salles), rappelons que pour qu'une salle soit classée Art et Essai, il faut qu'elle diffuse un certain pourcentage de ces programmes art et essai, dans une ville (agglo) d'une taille déterminée, le tout pondéré par des coefficients liés au nombre de films proposés, à la politique d’animation de la salle (en tenant compte des moyens dont la salle dispose), à l’environnement sociologique, l’environnement cinématographique, à l’état de la salle, à la diversité des films art et essai proposés ou encore à l’insuffisance du fonctionnement : nombre de semaines et de séances (hors période de travaux).
Le mode de calcul est alambiquée, mais donne des résultats réalistes. Il faut rajouter à cela la possibilité pour les cinéma d'obtenir des labels complémentaires :
- Recherche et Découverte,
- Jeune Public,
- Patrimoine et Répertoire.
Ces classements sont effectués par une Commission Nationale nommée pour trois ans par le Centre National de la Cinématographie. Ils permettent aux salles indépendantes de bénéficier d'aides sélectives "afin de mener à bien leur mission culturelle et citoyenne".
En 2004, 1024 établissements ont été classés. Ils sont répartis régionalement comme suit : Paris 37, Banlieue Parisienne 117, Rennes 201, Centre 28, Bordeaux 224, Lille 49, Lyon 200, Marseille 110 et Strasbourg 58. Ils représentent une enveloppe budgétaire de 11 256 925 euros et au total, 360 labels ont été décernés.
A partir de là, on a tous les éléments pour répondre à ces petites questions :
- Quels avantages ca peut donner à un film d'être classé Art et Essai ? :
Aucun, d'autant plus que ce n'est pas un classement, c'est plus une recommandation.
- Les cinéma art et d'essai peuvent-il sortir des films nont classés art et d'essai ? :
Ils en ont techniquement le droit et la possibilité. Attention pour eux à ne pas descendre en dessous de % leur permettant de bénéficier du label Art et Essai. D'autre part, attention à ne pas perturber la clientèle...
- Les grands cinémas style Gaumont ou Ugc peuvent-ils avoir une salle art et essai ?
Bien sur, mais il faut que l'exploitant n'oublie pas de demander la classification s'il sait respecter les critères.
- Les films "art et essai" style Kill Bill ou 8 femmes doivent-il sortir dans les salles classés des multiplexes ou ds n'importe quelle salle de ces grands cinemas ?
L'exploitant est seul responsable de ses entrées et donc de sa programmation. Il détermine lui-même la salle dans laquelle il va positionner un film.
Si vous avez d'autres questions sur le sujet, suivez le lien...