6) La belle histoire : (article de journal remanié copyleft)
C'était un jour de l’été 2004, à 6 h 20 du matin. Les gendarmes ont frappé à la porte de Michel. Perquisition efficace : ils repartent avec l'ordinateur et son disque dur, plein de fichiers musicaux, et plus d'une centaine de CD gravés. «Je respecte les limitations de vitesse, je ne bois pas, je ne fume pas, mais j'avais téléchargé de la musique», dit cet homme en esquissant un sourire forcé. Quelque temps plus tard, il a reçu sa convocation au tribunal de grande instance. Accusé de «contrefaçon», il risque jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende. L'industrie du disque a décidé de s'en prendre aux adeptes des services d'échanges gratuits de fichiers via l'Internet, afin de faire des «exemples». Michel, 1er cas repéré à être poursuivi, a tout de l'internaute type : ce jeune salarié n'a jamais revendu de CD gravés avec la musique qu'il télécharge, il se dit «passionné de musique», il a continué à acheter «un ou deux disques par mois» malgré le téléchargement et il est même musicien amateur. Le message adressé aux millions d'usagers du peer-to-peer en France est on ne peut plus limpide : cela peut arriver à tout le monde.
Michel a commencé à explorer les services P2P dès qu'il a eu une connexion haut débit. «Au début, je cherchais des choses très rares, des bootlegs, certains enregistrements de concerts difficiles à trouver.» Puis il est passé à un butinage plus large, des tas de chansons «pour voir, il y en a même beaucoup que j'ai écouté seulement quelques secondes». Il a même récupéré des albums qu'il possédait déjà, parce que «mon ordinateur était relié à ma chaîne hi-fi et que c'est plus simple d'avoir un fichier que de manipuler des disques». C'est le cas d'un CD dont la protection contre la copie interdisait tout transfert vers le disque dur. Au fil du temps, son disque dur se remplit, jusqu'à «30 gigaoctets de musique», dit-il, soit l'équivalent de quelque 600 albums complets. Et le tout accessible au tout venant via l'Internet, comme le veut le principe du P2P. C'est ainsi qu'il a été repéré, après une rapide enquête de gendarmerie pilotée par l'unité spécialisée de Rosny-sous-Bois.
«Si j'avais eu la moindre idée de ce qui pourrait arriver, j'aurais cessé immédiatement», affirme-t-il. La campagne d'avertissement lancée par le Syndicat national des éditeurs phonographiques (Snep) en mai dernier ? «Je suis passé à côté, je ne sais pas ce que je faisais à ce moment-là.» Michel avait bien entendu parler des milliers de poursuites lancées aux Etats-Unis par les majors du disque, mais il pensait que «cela ne tombait que sur des gens qui faisaient du trafic, et vendaient des CD gravés». Il a encore du mal à encaisser «cette histoire, tellement énorme pour si peu de chose». «Tout le monde télécharge, dit-il, je ne connais personne dans mon entourage qui ne le fasse pas. C'est comme l'interdiction du port du pantalon par les femmes héritée du Code Napoléon. On sait que c'est interdit mais tout le monde s'en moque.»
Persuadé du caractère «disproportionné» de son affaire, Michel refuse pour autant de parler d'injustice. «Il y a des choses bien plus graves.» Il se dit juste «amer» et dénonce «l'hypocrisie» des entreprises qui encouragent à l'usage du P2P, comme «Sony, ce genre de boîte qui vend de la musique, des baladeurs MP3 et des graveurs et qui ensuite nous tombe dessus...». Il exhume d'un dossier une publicité où est écrit : «Tu aimes vraiment la musique ? Alors prouve-le ! Avec la ligne ADSL France Télécom, télécharge tes morceaux préférés quasi instantanément.»
Pour cet internaute, en tout cas, «le téléchargement, c'est fini». L'abonnement ADSL a été résilié dans les jours suivants la perquisition et il a commencé à faire des réserves en prévision des frais d'avocat et d'une condamnation. Même s'il sait que le maximum de la peine est plutôt réservé aux contrefacteurs trafiquants, il se prépare à plusieurs milliers d'euros de frais. Il a vendu le piano Yamaha dont il jouait depuis dix ans, mis en vente une de ses deux guitares et interrompu son abonnement illimité de cinéma. Mais il achètera toujours des disques. «Je ne pourrai pas m'en passer». (basé sur une histoire vraie reprise d’un article de Florent Latrive – Libération).