Débute donc ici une tentative de décryptage du phénomène du piratage, par le biais du P2P et de la copie non privée, qui devrait comprendre quelques posts. Je ne prétend pas à l'exhaustivité, je ne détiens pas la vérité, mais j'avance une compilation que j'estime assez complête de tout ce qui circule comme information sur le sujet, dans les journaux, sur les sites internet, dans les revues professionnelles et sur les forums. Je ne donnerai ma position finale que tout à la fin (sinon, ce ne serait pas une position finale).
Vous pouvez participer au sujet en apportant votre pierre à l'édifice soit en commentaire, soit sur le forum.
1. Les analyses, articles, études et jugements
a) En faveur de l'échange de fichiers
1. Felix Oberholzer-Gee, économiste à la Harvard Business School et Koleman Strumpf, de l'université de Caroline-du-Nord:
«L'échange de fichiers n'a eu aucun effet sur les ventes de CD à la mode pendant la période que nous avons étudiée (Etude publiée en mars 2004, disponible sur http://www.unc.edu/~cigar/papers/FileSharing_March2004.pdf). Les téléchargements ont eu lieu sur une vaste échelle, avec trois millions d'utilisateurs qui ont partagé 500 millions de fichiers sur le seul réseau FastTrack/Kazaa. Or la majorité d'entre eux n'auraient pas acheté les albums qu'ils téléchargeaient. Ce n'est pas surprenant que la consommation de musique augmente quand elle est gratuite, mais cela ne signifie pas que les gens auraient dépensé 18 dollars pour un album. Notre étude est la première qui regarde les téléchargements réels. Jusque-là, tout ce que nous savions à propos de l'échange de fichiers était fondé sur des sondages ce qui est problématique, car il est difficile de savoir si les gens sont honnêtes quand ils parlent d'activités illégales. Pour 680 albums, nous avons comparé chaque semaine les ventes et le nombre de téléchargements. Selon notre modèle le plus pessimiste, il faut 5 000 téléchargements pour réduire les ventes d'un album d'une seule unité. Si ce scénario du pire était juste, l'échange de fichiers aurait réduit les ventes de CD de deux millions de copies en 2002. A titre de comparaison, il faut rappeler que les ventes de disques ont en fait chuté de 139 millions d'exemplaires entre 2000 et 2002. Plusieurs autres raisons peuvent en fait expliquer cette baisse : la fin du boom du remplacement des vinyles par le CD, une économie faible aux Etats-Unis et ailleurs, la concurrence d'autres produits culturels, comme les DVD. Les maisons de disques devraient utiliser l'Internet pour promouvoir leur musique. L'Internet ressemble bien plus à une radio qu'on ne le pense communément. Quand les gens écoutent des chansons en ligne et qu'ils les aiment, certains vont acheter l'album.»
2. Les systèmes d'échanges de fichiers sur l'Internet (Peer-to-Peer ou P2P) sont légaux, tout comme les magnétoscopes ou les pinces-monseigneur. C'est ce qu'affirme une décision de justice rendue il y a peu à San Francisco et considérée comme cruciale par la profession et l'industrie du disque. Une cour d'appel fédérale a en effet jugé que les éditeurs de deux des principaux services (Grokster et Morpheus) ne sont pas responsables de l'utilisation (légale ou pas) qui en est faite.
L'affaire remonte à octobre 2001. Maisons de disques et studios hollywoodiens s'étaient alors unis pour porter plainte. Les plaignants avaient fait appel d'un premier jugement, en avril 2003. Pour les juges de San Francisco, les éditeurs en cause se contentent d'offrir des outils permettant aux internautes de partager des informations, que ces informations soient protégées par des droits d'auteur (musique piratée, film copié) ou non (photos de famille ou morceaux de musique tombés dans le domaine public).
En cas de violation de ces droits, ce n'est pas la technologie qui est en cause mais son utilisation. De la même manière, en 1984, la Cour Suprême des Etats-Unis avait décidé que les magnétoscopes Sony n'étaient pas illégaux : tout dépendait de l'usage qui en était fait. «Aussi bien, les fabricants de pinces-monseigneur ne sont pas responsables pour les vols qui peuvent être commis avec ces pinces», explique l'un des avocats des firmes mises en cause.
«L'histoire a montré que les forces du temps et du marché suffisent souvent à parvenir à un équilibre», écrit le juge Sidney R. Thomas, citant le magnétophone, le karaoké et le lecteur MP3. Sous-entendu : Hollywood avait combattu le magnétoscope dans les années 80, avant de parvenir à en tirer des revenus confortables (Sony est bien le premier à vendre des lecteurs de salon DVD/DivX/Mp3).
Les plaignants n'ont pas encore annoncé s'ils comptaient porter l'affaire devant la Cour Suprême. Ce jugement pourrait influencer un cas similaire contre l'éditeur de Kazaa, le système d'échanges de fichiers le plus populaire. (in http://www.liberation.fr - 08/2004)
3. Selon «The Cooperative Association for Internet Data Analysis», qui vient de publier un rapport d'analyse sur le traffic P2P, ce dernier n'a jamais diminué aprés la vague de poursuites judiciaires de ces derniers mois, contrairement à ce que l'on a pu prétendre.
Source : http://www.caida.org/outreach/papers/2004/p2p-dying/
Parallèlement, au-travers d'un article consacré à Eminem dans Le Monde, nous apprenions que les ventes de CD repartaient à la hausse aux US avec une augmentation de 4% des ventes : «A la veille des fêtes, Encore [maisonde production d'Eminem] devrait doper l'industrie du disque, dont le chiffre d'affaires a enregistré une amélioration d'environ 4 % aux Etats-Unis, au cours du premier semestre 2004»
b) Contre l'échange de fichiers et le piratage
1. Catherine Tasca : «On ne luttera pas efficacement contre la piraterie sans offre alternative licite. Chacun le sait. Pourtant celle-ci tarde à venir».
2. Le commissaire en charge du marché intérieur de la communauté intellectuelle, Frits Bolkestein, a déclaré (en 2003): "Les pirates et les contrefacteurs privent, de facto, les titulaires du droit de la rémunération légitime qui leur revient du fait de leur travail. Si nous ne mettons pas fin à leurs pratiques, les mesures encourageant l'innovation industrielle et la créativité culturelle perdront de leur efficacité. Un tel affaiblissement mettrait en péril la compétitivité de l'Europe ainsi que sa diversité et son dynamisme culturels. Nous devons donc nous montrer intransigeants avec les pirates et les contrefacteurs et veiller à ce qu'ils ne trouvent refuge nulle part dans l'Union européenne. L'efficacité de nos moyens de défense contre la piraterie dépendra de la vitesse à laquelle nous mettrons en oeuvre cette proposition. J'espère, par conséquent, que le Parlement européen et le Conseil nous apporteront leur coopération en vue de son adoption rapide."
3. Le développement de la contrefaçon et de la piraterie causerait un tort croissant aux entreprises (diminution des investissements, fermeture de PME), à la société (perte d'emplois, sécurité des consommateurs, menace pour la créativité) et aux administrations publiques (perte de rentrées fiscales). Selon une étude indépendante (délivrée à divers média en 2002), plus de 17 000 emplois légitimes sont perdus chaque année en raison de la piraterie et de la contrefaçon dans l'UE. Dans certains secteurs, le problème est particulièrement préoccupant. Dans l'industrie informatique, on estime que 37 % des logiciels utilisés dans l'UE sont piratés, ce qui représente une perte de revenu de 2,9 milliards d'euros; l'industrie de la musique a enregistré un recul moyen général de 7,5 % des ventes dans l'UE en 2001; dans le domaine des chaussures et de l'habillement, les marchandises piratées et contrefaites représentent 22 % des ventes.
4. Aux Etats-Unis, début 2004, une enquête publiée par Pew Internet & American Life Project est interprétée comme étant un succès de la politique répressive du RIAA (Organisme chargé de la protection des droits d'auteur). Cette enquête indique que le nombre d'internautes déclarant télécharger de la musique illégalement a fortement baissé aux USA. Ce chiffre qui était de 29% en Janvier 2003 n'est plus que de 14% fin 2003. Si l'on prend bien en compte la phrase en gras on pourra en déduire que la seule victoire du RIAA est d'avoir réussi à ce que les gens en parlent moins, ce qui ne prouve aucunement qu'ils ne téléchargent plus. Imaginez seulement un de ces internautes indélicat recevant un coup de fil : "Bonjour, est-ce que vous téléchargez des morceaux de musique de manière illégale ?". Sachant qu'il ne connait pas son interlocuteur et peut-être poursuivi, quelle sera d'après vous sa réponse ?
5. Le Snep et la SCPP notent que les actions judiciaires portent leurs fruits : le nombre de fichiers musicaux mis à disposition serait passé de 1,1 milliard en juin 2003 à 800 millions en juin 2004, soit une baisse de 30%, selon l'International Federation of the Phonographic Industry (IFPI). Dans le même temps, le nombre d'utilisateurs de Kazaa, le système le plus poulaire, serait en recul de près de 41% (info invérifiable qui est contredite dans un de mes futurs posts..