J'entame avec cette note une petite série d'anecdotes que j'ai vécues dans les salles de cinéma entre 1987 et aujourd'hui.
Je travaille à Toulouse depuis aout 2003. Mais auparavant, j'ai travaillé de nombreuses années à Paris. Un peu partout et sur les Champs-Elysées en particulier : aux Gaumont Ambassade, Gaumont Marignan, Gaumont Champs (aujourd'hui disparu) et Publicis Elysées (qui vient de réouvrir complêtement rénové après 2 ans de fermeture).
J'ai de nombreuses anecdotes au sujet de ce cinéma. Mais il y en a une qui resurgit immédiatement quand j'y pense. Elle est liée au R.A.P. (Résistance à l'Agression Publicitaire). Je ne résiste pas à l'envie de vous la raconter, car elle me concerne directement, même si elle est longue car produite en 2 parties:
PARTIE 1 :
Le 30 juin 1993 y a eu lieu la première action spectaculaire de Résistance à l'Agression Publicitaire.
Vers 19h45, une dizaine de militants de l'association RAP se retrouvent sur les Champs-Élysées et se rendent devant mon cinéma et distribuent aux spectateurs le tract suivant:
Les autres "Visiteurs"
Vous allez voir le film de Jean-Marie Poiré : Les Visiteurs (1993).
Avant cela, vous allez subir un quart d'heure de publicité. Que vous le vouliez ou non.
Quand le film commencera, la publicité ne sera pas terminée: pendant la projection, vous serez soumis, sans vous en rendre compte, à un certain nombre de messages publicitaires clandestins. Quelques marques vous apparaîtront, le temps d'une ou quelques secondes, dans le décor ou les dialogues : tabac, parfum, journal, champagne, restaurant ,carte bancaire, eau minérale, produit laitier, société de location de voiture, etc. Chaque marque a payé pour être vue ou entendue de vous pendant le film.
Si l'intrusion de ces "visiteurs" vous inspire quelques commentaires, notre association sera très heureuse de les recueillir.
Et maintenant, place au rire et à la détente !
A 19h55, début de la séance, les militants entrent dans la salle, où se trouvent bientôt une centaine de spectateurs, et s'installent plutôt vers l'avant, sur plusieurs rangs.
A 20h05, quelques minutes avant la fin de la publicité, celui qui est assis le plus près de l'écran se lève et se retourne vers le fond de la salle. Les autres l'imitent. Tous restent debout, immobiles et muets, face aux spectateurs intrigués. Une longue minute passe avant que l'un d'eux, s'inspirant d'un slogan venu des haut-parleurs, ne profère : "L'aventure, c'est la publicité !". Et les antipublicitaires de rivaliser d'ironie pour rendre hommage, à tour de rôle, à ce que déverse l'écran dans leur dos :
"La publicité, c'est la fleur de la vie !...C'est la vérité!...Ce n'est pas le fascisme !...C'est de l'art !...C'est l'avenir !...C'est la liberté !...La publicité m'a permis de rester jeune !...J'ai trouvé ma femme grâce à la publicité !...Il faut aimer la publicité parce qu'elle vous aime !...etc."
Le responsable de la salle (moi en l'occurence) surgit et, désarmé devant ce contre-spectacle, prend le public à témoin. "Fin de citation !" crie enfin l'un des "comédiens" en guise de signal convenu. La petite troupe quitte alors les rangs pour rejoindre une allée latérale, et monte en bon ordre sur la scène, au pied de l'écran. Une fois en ligne, elle salue le public, qui lui répond par quelques applaudissements. Tandis que l'employé (encore moi) prévient qu'il appelle la police, chacun retourne à sa place comme prévu par le scénario. C'est justement la fin de la publicité.
Il est près de 20h15, le film doit commencer. Mais les lumières rallumées ne s'éteignent pas, et le rideau reste fermé. Alors que l'étonnement commence à gagner la salle, le responsable (moi) réapparaît, escorté de trois policiers. Il demande aux militants de le suivre. Ces derniers, soutenus par quelques protestations du public impatient, ne bougent pas. Tout le monde scande : "le film! le film !" L'employé (là, j'aurais mieux fait de me taire, erreur de jeunesse, sans doute) déclare haut et fort: "Je prends sous ma responsabilité le fait que la projection ne commencera pas, tant que ces gens ne seront pas sortis !" Le président de R.A.P. se lève et déclare haut et fort : "Et moi, je prends sous ma responsabilité le fait que nous n'interromprons pas le film, puisque nous ne sommes pas venus pour cela ! Nous ne sommes pas des iconoclastes, nous. Nous respectons les uvres, les vraies, pas la publicité ! Nous n'avons donc aucune raison de sortir et nous ne sortirons pas !"
De fait, j'ai fait marche arrière. Exit la police. Après un bref suspense, les lumières s'éteignent et le film commence. Un publiphobe s'exclame à l'oreille d' un autre: "Quelle victoire !" (par YG-RAP et Niala01-MOI)
PARTIE 2 :
2 ans plus tard...
Le 30 juin 1995, vers 19h45, dix membres de R.A.P. entrent au Publicis Élysées, dans la salle même où eut lieu, deux ans plus tôt jour pour jour, leur première action cinéma.
Quand commence la publicité, huit militants (les deux autres sont venus en observateurs) rejoignent la scène, en procession. L'un porte solennellement un gâteau au chocolat, confectionné pour l'occasion et surmonté de deux bougies électriques de fabrication artisanale. D'autres déploient une banderole :"Non à la pollution publicitaire', et des panneaux : "30 juin 1993 30 juin 1995, 2ème anniversaire des actions cinéma".
Parmi la trentaine de spectateurs présents, plusieurs applaudissent. A l'invitation des militants, une poignée d'entre eux vient partager le gâteau et faire connaissance. D'autres se font apporter une part à leur place. Tous reçoivent un tract qui porte ce titre : "Et si vous montiez sur la scène avec nous ?"
Le responsable de la salle (Niala01, votre serviteur, LOL) vient trouver les militants, résigné et TRES souriant :
"Je me souviens de vous, j'étais là il y a deux ans, c'est la deuxième fois que ça tombe sur moi".
Il refuse la part de gâteau qu'on lui tend. A la fin des huit minutes de publicité, on range tout, on ramasse les miettes laissées sur la scène, et un militant lance au public: "J'espère qu'on ne vous a pas dérangés". (par YG/MT-RAP et Niala01-MOI)
A+