En 1993 Bill Carter était assistant et travailleur documentaire vivant à Sarajevo, une ville en état de siège avec des troupes de 18.000 serbes tirant de l’artillerie et des mortiers des collines environnantes - et pénétrée de l’intérieur par des tireurs embusqués. Même si elle était coupée du reste du monde, Carter voyait en cette ville le symbole de l’espoir dans cette guerre des Balkans car ’Les habitants de Sarajevo refusaient de se diviser suivant leurs origines ethniques et de nombreux Serbes se joignaient à eux pour défendre la ville contre les assiégeants serbes nationalistes.’
C’est alors qu’il rencontra U2 sur sa tournée ZOO TV en 1993 qu’un avion emmena pour montrer aux jeunes du reste de l’Europe ce à quoi ressemblait une ville assiégée sur leur continent. Quatre ans plus tard, le siège terminé, U2 emmenait la tournée POPMART à Sarajevo et la semaine suivante le groupe retournait dans ce pays avec deux concerts au Stadium Maksimir de Zagreb.
En avril, Bill Carter était fait ’citoyen honoraire de Sarajevo’ étant ’guidé par les principes les plus nobles qui lui ont permis de répandre la vérité sur Sarajevo et ses citoyens durant le siège.’ Nous avons invité Bill à se remémorer cette histoire d’amitié avec U2 pour U2.com et l’histoire d’amitié qui unit le groupe au peuple des Balkans.
’En juin 1993 je me trouvais dans une station de télévision lorsque j’ai entendu Bono et Edge parler sur MTV. Ils parlaient du problème de l’union de l’Europe, disant que c’était un rêve qui valait la peine d’être rêvé. Bien entendu, j’étais d’accord, mais il y avait un problème : je regardais ça sur un poste de télévision alimenté par un générateur , entouré par des personnes au visage émacié au point qu’elles ressemblaient à des survivants des camps de la mort, et d’ici la fin du mois des centaines de personnes mourraient victimes des tireurs embusqués qui les descendaient tels des cannettes alignés sur une buche. Je me trouvais à Sarajevo, au "ground zero" (niveau zéro) de la plus violente et sanglante guerre en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. A ce moment, l’idée d’une Europe unie ressemblait à un rêve inaccessible.
J’avais dû venir à Sarajevo - trou de l’enfer certifié en 1993 - pour livrer des colis de nourriture humanitaire avec un convoi de jeunes hommes déguisés en clowns. C’était surréaliste mais ça marchait. Ce jour-là, après avoir écouté U2 parler sur MTV, j’ai eu l’idée de joindre le groupe. Aussi, je me fis faire des faux papiers, fit appel à quelques relations et deux semaines plus tard, je me trouvais assis en coulisses à Vérone, espérant choper U2, le groupe le plus puissant au monde en mesure de faire quelque chose. Quoi ? Je n’en avais pas la moindre idée, mais quelque chose c’était forcément mieux que rien.
Cette nuit-là, je me retrouvais face à face avec Bono et Edge, partenaires du rêve à grande échelle. Je leur racontais les histoires de personnes que je connaissais à Sarajevo. Je leur parlais de ces musiciens, de cet orchestre presque au complet qui se réunissait dans des caves pour jouer leur musique. Je leur parlais des productions théâtrales, de peintres qui se trouvaient à marchander pour leurs peintures et de ce joueur de violoncelle qui jouait dans un cimetière mort dans les ténèbres, sa musique se faisant l’écho des 250.000 âmes, privées de nourriture, d’eau, de gaz ou d’électricité. A laz fin de la soirée, Bono suggéra sa venue à Sarajevo dans les tous prochains jours. J’expliquais que bien que cela sembla une idée géniale, c’était impossible. L’armée serbe qui occupait les collines au-dessus de Sarajevo tenait la ville à l’œil et tout rassemblement de personnes devenait aussitôt une cible pour une attaque de leur artillerie. Désappointés, Bono et Edge, me demandèrent de réfléchir à quelque chose. Il était évident qu’ils n’avaient nullement l’intention de laisser tomber. Ils me quittèrent avec cette pensée : ’Pense à quelque chose et nous le ferons. Il est temps de faire quelque chose d’extrême.’
C’est ainsi que naquit l’idée des liaisons satellite. C’était une solution simple. Au lieu d’amener U2 à Sarajevo, nous amènerions Sarajevo à U2, et à ses stades pleins de son public. Durant une transmission satellite au cours du concert de Copenhague, un homme de Sarajevo s’adressa à la caméra et demanda à U2 s’il viendrait un jour à Sarajevo et y donnerait un concert. Bono répondit : ’Oui, nous viendrons.’
En 1997, deux ans après la fin des combats, U2 se rendit au Kosovo Stadium de Sarajevo pour y donner le concert promis. A ce jour, je ne suis pas sûr que U2 ait entièrement conscience de l’influence totale que ce concert particulier a eu sur cette ville, ce pays ou cette région. Avoir 40.000 personnes rassemblées à Sarajevo, de tous les Balkans, deux ans seulement après une guerre violente, a eu un impact profond sur les gens. Certains avaient cette peur ancrée qu’ils se tiendraient à côté d’un titreur embusqué qui leur avait tiré dessus il y a quelques années. pour d’autres la peur n’était pas de reconnaître l’ennemi, c’était tout le contraire : ne pas savoir s’ils étaient assis à côté de cette personne. Comment le pourraient-ils ? Les tueurs et les victimes se ressemblent, ils parlent de la même façon et mangent la même nourriture. Mais ce soir-là, une fois la musique envoyée, personne ne se souciait de noms, de pays ou de religions. Tout ce qui leur importait était la musique. Cette simple célébration de la musique devint la célébration de la fin de la guerre. Et ce concert fut perçu à l’unanimité comme une récompense pour ceux qui avaient survécu.
En tenant sa promesse de jouer à Sarajevo en 1997 U2 a réussi a faire quelque chose plus difficile qu’il n’y parait : il a littéralement étendu ce sentiment de confiance, il a apporté un sentiment d’espoir aux Bosniaques. L’espoir que cette guerre était finie. L’espoir qu’un sens de la normalité, manifesté dans le plus grand groupe de rock au monde, reviendrait à Sarajevo. Ce sentiment d’espoir et de confiance envers U2, on en parle souvent dans les rues de Sarajevo. Ce dont on ne parle pas trop souvent c’est ce que Sarajevo a fait pour U2. C’était risqué pour le groupe de parler de guerre - de montrer le visage de la guerre sur des écrans de 80 pieds ( ), de mettre son public dans une position des plus inconfortables. Mais ça a marché. Ils ont eu droit à de nombreuses attaques en raisons de leurs liaisons satellite avec Sarajevo durant les concerts de la tournée ZOO TV, mais comme Larry me l’a dit un jour : ’Je pense que l’histoire prouvera que ces satellites étaient une très bonne chose.’
Pour ce qui est de ce concert, la formation rock irlandaise a déclaré que le concert de Sarajevo était l’un des plus mémorables de son existence. Mais je soupçonne également que ce concert et les liaisons satellite ont également donné à U2 ce sentiment d’espoir. En voyant toutes ces personnes autrefois en guerre rassemblées pour danser, chanter, exprimer la joie, tout ça a donné au groupe une affirmation que la musique, tout au moins, lorsqu’une chanson est jouée peut transcender les frontières, les langues, la guerre et le nationalisme.
Il est aisé d’exclure les actions d’un groupe de rock aussi frivoles ou au mieux, moins important que les mots et les actions de politiques rassemblés dans des pièces secrètes. Mais il ne faut pas dénigrer l’importance du rôle de U2 - par le simple fait de s’engager, de faire quelque chose, il a défié la notion d’une Europe unie. Je me souviens d’un général de l’OTAN à Sarajevo durant le concert me disant qu’il y avait 4.000 troupes en ville pour assurer la sécurité mais ’ce groupe dépense son propre argent et 40.000 personnes se retrouvent. Nous ne sommes pas dans la bonne branche.’
Aujourd’hui, près de quinze ans après la fin de cette guerre, la paix dans les Balkans est chancelante. Personne n’y croit et pourtant elle avance à pas lent comme un petit train infatigable grimpant une colline. C’est une paix fragile qui repose sur la confiance de ceux qui, il n’y a pas si longtemps encore, étaient ennemis. Personne ne pense qu’une guerre pourrait exploser mais les tensions grondent toujours sous la surface. Pourtant, le tourisme rebondit et l’industrie est en hausse. Ces gens sont des survivants. Et les 9 et 10 août, le Makimir stadium de Zagreb se remplira de personnes issues de tous les Balkans pour voir la nouvelle incarnation d’un concert de U2. Personne pense qu’un concert de rock peut changer le monde, mais pour un grand nombre le retour de U2 symbolise quelque chose d’autre : un nouveau chapitre dans la relation entamée avec le groupe et ce pays à l’été 1993. Et tout comme en 1997 à Sarajevo, une nuit durant 40.000 personnes se souviendront qu’elles sont de simples personnes, à l’âme suffisamment légère pour être soulevée par le pouvoir de la musique.
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