Nouveau Carnet. Suite du second carnet.
Après notre réveil à 5H00 et notre heure de prière, suivis d'un bon repas, nous avons fait nos derniers adieux. A 8H00 précises, nous avons quitté la forteresse de PEEL, les moines de SAINT PATRICK et tous nos Frères du TEMPLE. Je repense à la question de mon Sergent, est-ce que nous reviendrons ici sur l'île de MAN? Bien difficile d'y répondre, notre route est si longue. En quittant le fort, j'ai fait comme pour mon départ de PARIS, je suis monté sur mon cheval et je ne me suis pas retourné, j'ai simplement gardé la main gauche levée en signe d'adieu. Je voyage en compagnie du Sergent LEONARD, du Frère PASCALUS et de son Sergent le dénommé ROLAND. Le Frère ROBERTO SPINELLI a pris la route avec nous accompagné du Sergent PAQUELIER et de son écuyer nommé JAILLOUX le jeune. Nous sommes accompagnés de trois archers pour rendre la route plus agréable et sans risque.
Nous traçons à travers une nature devenu familière, sans pour autant être totalement rassurés sur ces terres désertiques où les parcelles boisées sont rares et où l'embuscade peut survenir à tout moment. La faim fait parfois sortir le loup du bois. Pour l'instant, c'est le Frère PASCALUS qui ouvre la marche, mon Sergent et moi-même fermons l'escorte.
Depuis notre départ je suis en silence, je prie pour ceux qui sont restés au fort de PEEL. Je prie également pour que notre passage en mer de demain se passe bien. Cette traversée de l'île pour rejoindre le port de RAMSEY est longue et si nous arrivons avant la nuit ça sera bien. En fonction de cette arrivée, le Frère PASCALUS est d'accord avec moi, si elle est tardive nous embarquerons les chevaux ce soir et nous dormirons sur le bateau. Sinon, nous passerons la nuit chez les moines de SAINT PAUL.
Laissons faire les choses, ne battons pas le vent avec des tiges de saule, laissons nos chevaux avancer à bonne cadence en veillant à ne pas les fatiguer inutilement. Dans mon silence je m'aperçois que tout le monde est triste d'avoir laissé derrière lui un être cher ou un ami fidèle ou les deux à la fois. Une journée sans parole ne peut faire de mal à personne, mais je reconnais que pour le Frère SPINELLI et mon Sergent PIERRE c'est une épreuve. Nous ferons une exception pour notre arrêt au lac de SULBY. Il est normal de reprendre la conversation pour notre pose repas. Comme la journée est particulièrement belle nous profiterons du lac pour nous laver copieusement. Le lavage des chemises, tabars et braies s'impose aussi. Il est important que nous soyons propres et présentables pour notre nouvelle route.
Nous sommes repartis heureux et bien en nous même après cet arrêt un peu prolongé. Cet après midi fut silencieux comme le matin, il est important d'observer la règle du silence total jusqu'au bout de notre route. Finalement le Frère PASCALUS a bien fait d'ouvrir cette route, son allure soutenue nous a permis de voir RAMSEY de jour. Comme prévu nous sommes passés devant l'église SAINT PAUL, mais vu la mine des uns et des autres, aucun d'entre nous n'avait vraiment envie d'y passer la nuit.
Tout compte fait le port sans grande activité en cette fin de jour nous apparut soudainement plus hospitalier et plus propice pour notre nuit. Le bon souvenir des moines de SAINT PAUL ne brillait pas particulièrement dans ma mémoire et l'idée de repasser un seconde nuit dans leur église ne me disait rien même si je reconnais avoir dormi en toute tranquillité. Après l'embarquement des chevaux, nous sommes restés à bord. Il y avait peu de marchandises embarquées par contre beaucoup de monde dormait déjà dans la cale.
Notre repas composé de viandes froides fut dévoré avec respect mais avec la rapidité des gens qui ont le ventre creux. Après une journée de cheval l'envie de bien manger se fait sentir et vous tenaille avec force. Maintenant que la chose est faite passons à la préoccupation de notre début de nuit.
Nous avons étendu nos paillasses aux pieds de nos chevaux afin de garder un bon œil sur eux. Dormir cette nuit oui, mais peut être pas. Lorsque nous sommes en mission nous avons un centre intérêt commun pour jouir pleinement de chaque instant que notre SEIGNEUR nous accorde lors de nos déplacements. Pendant cette longue journée de silence au travers de l'île de MAN chaque homme, replié sur lui même et son passé, sur ses actions bonnes ou mauvaises, sur sa vie d'avant le TEMPLE ou sur sa vie d'hier, va devoir se raconter à tour de rôle pour partager avec les autres le fond de ses pensées. L'exercice est périlleux car tour à tour sans être vraiment prêt, le premier désigné doit se dévoiler. Ceci est notre jeu préféré, on commence avec un dé, le premier qui sort un six prend l'initiative de faire tourner sa dague. La pointe désigne l'orateur. Chaque récit est important même si celui-ci est plus ou moins long. Les histoires se déclinent en trois phases. Dans un premier temps faire le récit autour d' un lieu ou une ville connue puis vient l'histoire ou le conteur se met en scène puis vient l'heure où l'histoire raconte les aventures glorieuses ou funestes de quelqu'un que l'on connait ou que l'on a connu. D'abord des récits courts puis des histoires de plus en plus longues pour couvrir la nuit. Si le récit est vraiment long et parfois ennuyeux ce n'est pas gênant, il provoque l'endormissement c'est pour ça que l'on garde le Frère SPINELLI pour la fin. Cette journée de silence sert surtout à mettre de l'ordre dans sa tête pour que les histoires racontées soient captivantes. Je ne me pose pas la question pour savoir si les paroles sont vraies ou tout droit sorti de l'imaginaire ce qui compte c'est de vivre cet instant et de partager les même émotions. Mon Sergent PIERRE se défend plutôt bien à cet exercice, il est tellement bavard que je le soupçonne parfois de faire pivoter sa dague à son avantage. L'important est de se raconter avec force et ténacité. Le bon vin que nous avons apporté nous aidera forcément à donner plus de férocité aux évènements qui seront dévoilés par chacun de nous.
Une soirée comme celle-ci vaut son pesant d'or, joyeuse et vivante comme je les aime. Quand tout le monde a raconté ses vraies ou fausses histoires, nous désignons le meilleur conteur d'entre nous et l'on boit à sa santé. Un premier verre pour le bon récit et un second verre pour le bon Frère qu'il est. Et là, généralement, le soleil pointe à l'horizon. Je suis allongé sur ma paillasse, si je dois dormir alors je laisserai le sommeil venir et si je reste éveillé toute la nuit c'est que mes oreilles auront écouté de bonnes histoires.
Notre bon SEIGNEUR nous a donné la force de veiller jusqu'à l'aube et je le remercie de sa bonne grâce, je prierai pour lui pendant la traversée entre le port de RAMSEY et le port de SILLOH.
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