Alors que Je m'appelle Blanche comme Neige est toujours interprété par Emilie Dejean au Théatre de Poche dans le désormais célèbre Printemps du rire 20010 de Toulouse (qui au passage fête sa 15ème Edition), les articles et critiques concernant cette Création de Jean-Paul Olivier commencent à fleurir sur le net...
Parmi ceux-ci, l'article consacré à Je m'appelle "Blanche comme Neige" rédigé par Jacques-Olivier Badia est savoureux à défaut de n'être que dithyrambique. Je me permet de le retranscrire ici intégralement. Merci à lui :
"Ce fut un coup de cœur du Printemps du Rire, édition 2003, de votre serviteur aussi bien, et une mention spéciale inattendue qui fit fort plaisir à ses auteur et interprète. Sept ans plus tard, Emilie Dejean, toujours Blanche, retrouve le théâtre de Poche dans le très grinçant Je m'appelle Blanche comme Neige de Jean-Paul Olivier – sept années passées loin des scènes pour cause d'enfants et de la vie telle qu'elle est, sept années qui ont laissé une marque visible sur le personnage et l'interprète : même sourire aux commissures mutines, même éclat espiègle dans le regard, même talent même énergie, mais une maturité nouvelle, une densité et une présence augmentées du poids de l'expérience.
Ainsi revient Blanche, identique et changée...
"Si vous êtes lucide, vous le découpez dans son sommeil."
Blanche vit toujours dans la même chambrette meublée d'un lit, d'une chaise et d'un empilement conséquent de valises, toujours vêtue de son peignoir blanc sur mi-bas bien tirés, environnée de rouge comme diable en enfer : nuisette rouge sous le peignoir, couvre-lit rouge, rouge le sac à bonbons, rouges le plumeau le balai, rouges les ongles les pommettes les élastiques dans les cheveux – mais marron et beige les valises, caca d'oie les bottes de chasse. C'est comme ça.
"Il y a la femme", dit-elle, " il y a les femmes. Il y a toutes les femmes. Et il y a moi." Elle : femme libérée, moderne, plus fine mouche que mouche à miel et qui dut apprendre à le devenir, femme, contre vents et maris.
Six en eut-elle, parmi sept amours géants ou nains, dont un homo qui lui fit deux enfants et une femme qui la trompa par la pastille à la fraise : Kevin, Norbert, le pauvre Jean-Jacques emporté par les trente-cinq heures, Benjamin le Bijou et Raoul dit Frankie, Valériane et Doo-Doo le britiche. Largement de quoi se faire une opinion sur le mariage, le rugby, l'amour, la baie de Somme, le sexe, la jet set et ses effets, la procréation, l'ennui, la belle-famille, quoi d'autre ? camion de pompier, voisine jaunissime, canard et trente-cinq heures.
Largement de quoi perdre nord et autres points cardinaux. Largement de quoi justifier les jours et les nuits passés avec son psy. Mais bon ça va, ça va bien. On n'a jamais retrouvé ses amours – sauf Jean-Jacques, le pauvre, rendu à sa mère avec le canapé – aucun d'entre eux, d'accord, mais ça va. Sa thérapie est finie, donc ça va. Et puis il y a la valise, là, dans le coin, pour que ça aille encore. La clinique. La coordinatrice de management. "Il faut me comprendre : je suis une femme..."Les émotions qu'on mérite
"Chacun a le droit d'avoir les émotions qu'il mérite", affirme Emilie/Blanche. Il faut croire alors que le public est bien méritant... C'est qu'on est loin, avec ce texte, de l'humour pouêt-pouêt et des conventions attendues du bien-rire télévisuel : l'humour y est noir, noir foncé tendance obscur, traversé de jaune acide pour le grincement de dent, ici et là d'un rouge flamboyant de férocité qui tire des "oh" et des "ah" à l'assistance prise par surprise et au rebours du poil – avec, tout de même, ce qu'il faut de vrais rires, à supposer qu'il y en ait des faux.
Il y a sept ans, Jean-Paul Olivier affirmait avoir voulu rendre hommage aux femmes. Sept ans plus tard, nul ne sait. Ou plutôt si : s'il y a hommage c'est en négatif, par la bascule et le contre-pied qu'impose un personnage de femme hors normes, aussi coupable que victime, comme arrachée de la banalité par la force de sa féminité, de son désir de féminité, de son désir d'une féminité qu'elle aurait choisie, forgée, assumée jusqu'à l'extrême. Non sans laisser dans le moule quelques grands lambeaux de peau, dans l'affaire un gros chouia de stabilité mentale... Tant et si bien qu'on ne sait que croire. Ce que raconte Blanche de sa vie, pur mensonge mythomane ? demi-vérité d'une réalité travestie par la folie ? vérité vraie, absolue, sans ambages ? Pas de réponse, et c'est sans doute ce qui fait la force et l'originalité d'un texte, d'un regard porté sur la condition féminine, si concentré qu'il perce le lieu commun jusqu'à l'os.
Oui, ça fait un peu mal...
Nous l'avons dit, répétons-le : sept ans de vie en plus (et quelques nuances de mise en scène) ont changé la tonalité de l'ensemble. Le rouge passion a laissé place au cramoisi fuligineux, la légèreté à une gravité plus sensible, et l'absurde auquel la gratuité pouvait suffire prend plus clairement sens. Tout cela par la grâce d'une Emilie Dejean à la fois plus forte et plus à même de laisser béer les fêlures, dans le même mouvement vive comme au premier jour et appesantie. Il ne fallait, pour en être convaincu, que la voir au salut, peinant à extraire Emilie de Blanche, à peine capable de sourire. Mais il fallait entendre aussi les applaudissements du public, sonores, répétés, insistants. Séduits, tous, toutes, malgré le risque – "car une femme armée peut-être dangereuse"...
"Je m'appelle "Blanche comme Neige", une pièce de Jean-Paul Olivier, mise en scène par Jean-Paul Olivier et Emilie Dejean, interprétée par Emilie Dejean, au Théâtre de Poche jusqu'au 10 avril 2010.
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